Arrivé en France à l’âge de 21 ans, venant de sa Syrie natale, il est naturalisé depuis 15 ans. Son épouse est d’origine marocaine. Tous ses enfants sont nés ici. Quand Bakkour Kattan n’est pas dans sa boutique de photocopies du boulevard Charlemagne à Nancy, il est sur les concours d’inventeurs comme au Lépine, dont il est maintenant un habitué avec ses quelques 300 créations.
Tous les habitants du quartier (on pourrait même presque dire de la ville) connaissent Bakkour Kattan, sa serviabilité, son humeur toujours égale, son humour aussi. Les personnes âgées qui arrivent dans sa boutique de photocopies, il les accueille chaleureusement en leur disant : « Bonjour la jeunesse ! ».
Une dame de plus de 80 ans entre dans le magasin. Il se précipite pour l’aider à grimper les deux marches et lui tend une chaise pour s’asseoir. Un monsieur, d’un certain âge lui aussi, la suit : « Bonjour Lépine, comment ça va ? ». Il engage la conversation, sur tout et sur rien. On parle de Paul Bocuse. Puis une dame, genre artiste, arrive, très préoccupée par les quelques photocopies qu’elle devait faire, avec des agrandissements, des recto-verso. Bakkour est très prévenant avec tout le monde. Une jeune étudiante vient de finir ses copies. Elle s’apprête à sortir. Il lui fait délicatement la bise. Les étudiants, nombreux dans ce quartier où siège le CROUS, passent là pour faire quelques photocopies et un brin de causette. On ne lâche souvent en sortant d’ici que quelques centimes d’euro. Pas chère le service et le bon temps passé ! J’attends les quelques minutes de répit (rares) pour enfin pouvoir engager la conversation. Toute la journée, la boutique ne désemplit pas, les copieurs tournent, (presque) jamais en panne, le matériel est parfaitement entretenu par Bakkour lui même. Quand c’est les vacances scolaires, comme le jour où nous sommes passés lui rendre visite, l’un ou l’autre de ses six enfants, tous étudiants et tous plutôt doués en classe, accompagne Papa et donne un coup de main. « Ils apprennent le métier« , dit Bakkour.
Bakkour Kattan est né à Alep en Syrie, il y a 50 ans. Son père déjà était un bricoleur et un grand créatif. Il a inventé une machine à nettoyer le carrelage mais n’a jamais déposé de brevet. Cela ne se faisait pas à l’époque en Syrie. Bakkour a passé deux bacs, un bac technique et un bac scientifique (en « candidat libre »). Il a fait beaucoup de stages de toutes sortes et surtout lu beaucoup de livres techniques. Il a tout appris dans les livres et en tâtonnant, en bricolant. En Syrie, Bakkour était un jeune homme très actif : il écrivait de la poésie, des chansons pour la radio, jouait au théâtre, dessinait,… Il était très actif au sein du Syndicat des Jeunes.
Il est arrivé en France, à Lyon, à l’âge de 21 ans, pour y apprendre le français et y poursuivre ses études de prothésiste dentaire. Il a opté ensuite pour la pharmacie avant de bifurquer vers la géologie. Son frère l’a rejoint pour se soigner. Atteint d’une grave maladie, il est mort à Lyon il y a maintenant 22 ans. Son souvenir est très fort dans le coeur de Bakkour qui parle encore de lui très souvent. Sa foi en Dieu a aidé Bakkour dans les moments les plus difficiles de sa vie. Et les difficultés nombreuses ne lui ont jamais ôté son sourire et son humour.
Ce sont ses études en pharmacie qui ont amené Bakkour à Nancy, ville qu’il n’a plus jamais quittée.Lorsqu’il a ouvert sa première boutique, le propriétaire de l’immeuble lui a demandé de payer 6 mois d’avance, parce qu’il était étranger. Sa demande de nationalité a été d’abord ajournée pour une supposée infraction au code du travail. Il a finalement pu devenir français il y a maintenant 15 ans. Pour s’installer là où il est aujourd’hui, au Boulevard Charlemagne, on lui avait demandé d’acheter tout l’immeuble pour pouvoir y ouvrir un magasin ! Il a finalement réussi à faire décomposer le lot et a acquis ce local avec garage où dans les premiers temps, il avait aménagé une pièce à vivre. Le magasin aujourd’hui comprend la pièce des photocopieurs, une autre (petite) pièce où sont entreposées les 300 inventions (!), et le garage.
Bakkour Kattan a rencontré sa femme, d’origine marocaine, par l’intermédiaire d’un ami. Ils se sont fiancés une semaine plus tard et mariés après trois semaines. Ils ont eu ensemble six enfants qui ont aujourd’hui de huit à dix-huit ans. Tous les enfants sont nés ici. Bakkour est plutôt fier d’eux. Il parle des aînées : « Elles se débrouillent pour travailler pendant les vacances« . Son épouse tient de temps en temps la boutique quand Bakkour Kattan est parti. Il part souvent pour présenter ses créations à des clients potentiels, à des partenaires, à des expositions. Car Bakkour Kattan est d’abord un génial inventeur. Chacune de ses inventions est l’objet de multiples discussions avec les clients du magasin de photocopies qui sont ses premiers vecteurs de publicité. Et la particularité des inventions de Bakkour est qu‘il réinvente le quotidien. La vie quotidienne est pleine de ces objets que l’on manipule avec toujours de petits désagréments. Bakkour, lui, trouve une solution à chaque problème. Depuis son enfance, il bricole, il invente et son génie a déjà fait le tour des médias locaux, du journal municipal de Villers-les-Nancy où il habite à l’Est Républicain ou France 3, RTL9, la RTB belge, TLM à Marseille,… Il est aussi passé à plusieurs reprises sur des médias nationaux: Attention à la marche, sur TF1, C’est mon choix, avec Evelyne Thomas ! Pour ce responsable de l’Association des Inventeurs de Lorraine (il en a été le Président pendant quinze ans), communiquer est important, et un jour peut-être, à force d’énergie et d’abnégation, il fera la rencontre professionnelle déterminante…
Sur les murs de la boutique, on peut voir les diplômes du Lépine encadrés et bien en vue qu’aucun client ne peut ignorer. Et tout juste à côté, le poème de Stéphanie, une amie, intitulé tout simplement « L’invention » (2001). Bakkour Kattan, c’est l’homme aux 300 objets géniaux. Il a presque une idée nouvelle à la minute. Il trouve une solution à tout et il tente de commercialiser ses inventions. Il tente, car ce n’est pas toujours facile. Il a bien conscience de certaines discriminations quand, pour le même objet, il envoie chez un partenaire quelqu’un d’autre en mission, moins arabe, plus féminin, … et que le produit trouve son marché ou gagne la médaille d’or. « Et pourtant, c’est le même objet !« , feint-il de s’étonner. Il a parfois connu des « partenaires » véreux qui lui ont fait perdre de l’argent. Il y a ceux qui font semblant de s’intéresser et qui lui piquent les plans, ceux à qui il paye la réalisation de prototypes bâclés qui ne fonctionnent pas, ceux qui ne respectent pas les contrats ou compromis, ceux qui font des promesses et disparaissent dans la nature, … Mais ce sont d’abord les gens de la rue qui lui reconnaissent son génie lorsqu’il fait des démonstrations privées au magasin, et les visiteurs des concours qui voient les démonstrations sur les stands. Sur les concours, Bakkour Kattan additionne les médailles (d’or, d’argent, de bronze) – il est particulièrement fier du Trophée de la Ville de Lyon – et d’une année à l’autre, il revient avec des produits sans cesse améliorés.
Avec Bakkour, les prises de courant n’empêchent plus d’accoler un meuble à un mur, elles sont latérales et non plus tournées vers l’extérieur, les prises multiples ont chacune leur interrupteur au lieu du seul interrupteur central, les balaistiennent debout tout seul (cela évite de tout salir et cela tient moins de place), et ils sont même capables de gratter la neige, les brosses à cheveux se nettoient toutes seules de leurs résidus après usage, les sacs aspirateurs conviennent à tous les modèles même les plus anciens, ils sont lavables et réutilisables, les cannes sont antidérapantes, les ceintures de sécurité s’adaptent à tous les sièges, les tétines se referment automatiquement quand bébé arrête de boire, plus rien ne coule et quelle que soit la position du biberon, ce qui évite de laisser du liquide partout, garantit une meilleure hygiène et maintient la température,le cabas du marché ne fait plus mal aux mains grâce à des anses adaptées, on peut ranger ses euros et les retrouver plus facilement grâce à un porte-monnaiequi classe les piécettes, la table de salon devient une table à tout faire, à langer, à repasser, à écrire,… et les escabeaux, les tabourets, les accessoires sont intégrés, le stylo est multi-usage, il fait taille-crayon, gomme, crayon, règle, ciseaux, le stylo se fait trousse, le fume-cigarettes récupère les cendres, la cuillère à thé permet d’égoutter le sachet sans se salir les doigts, le lavabo a désormais son déboucheur, le bouchon flotteur est hermétique, le pot d’échappement refroidit les gaz…
Pour Bakkour Kattan, le monde devient intelligent. Alors pourquoi ce Géo Trouvetout, comme l’appelle la presse locale, est toujours là à faire ses photocopies, un métier qu’il aime certes, mais son but est de pouvoir vivre un jour de ses inventions ? Bakkour cherche LE partenaire qui comprendra son intérêt d’investir à ses côtés.
En attendant, Bakkour Kattan sera encore une fois au Concours Lépine à la Foire de Paris du 30 avril au 12 mai 2008. Il y sera avec le biberon et ses dernières améliorations ainsi qu’un design plus attractif, avec le porte-sucettes, le peigne auto-nettoyant. Si sa réputation n’est plus à faire dans le cercle des inventeurs. le passage à l’industrialisation des produits n’attend qu’un petit coup de pouce.
Bakkour a lancé son site internet www.kattan-diffusion.fr , dont le contenu est encore bien modeste à son goût. Il regrette qu’il ne permette pas encore la vente en ligne.[NDLR : qui est depuis possible] « Je ne suis pas très fort en informatique« , avoue-t-il modestement. Souvent, il fait faire ses courriers. « Un courrier écrit par moi va au panier. Quand il est écrit par quelqu’un d’autre, il aboutit« . Ses yeux rieurs expriment sa confiance dans les gens. Arrivé à la cinquantaine, il ose espérer cependant que sa vie vient à peine de commencer, et que sa deuxième vie sera celle du génial inventeur. Un jour peut-être, ses enfants prendront sa succession, non pas seulement de la boutique à photocopies, la succession de son génie. Peut-être plus fort encore que lui.
Bakkour aime par dessus tout ce qu’il a transmis à ses enfants : les valeurs de respect et de dignité, les valeurs de travail et de générosité. Bakkour Kattan est un grand monsieur.
Guy Didier
Source : http://www.entre-gens.com/content/view/205/65/
Première Publication, Avril 2008 – Reproduit avec l’aimable autorisation de l’équipe d’Entre-Gens. (site fermé depuis)